
A nos glorieux libérateurs
Robert CAPA

A part Robert CAPA, aucun photographe civil n'est assez fou pour débarquer avec les Boys le Jour J, mais aussi à l'Heure H, dans la salve d'assaut inaugurale. De fait, le témoignage réalisé par Capa dans la grisaille du 6 juin 1944, entre les balles et les obus, est historique, unique et précieux.

"Si tes photos ne sont pas bonnes, c'est que tu n'es pas assez près." Robert Capa doit s'appliquer son célèbre conseil à lui-même lorsqu'il choisit, à la veille du D-Day, de se joindre à la compagnie E du 116e régiment d'infanterie américaine. Destination : Easy Red, l'un des secteurs d'Omaha. "Je suis un joueur. Je décidai de partir avec la compagnie E dans la première vague."
Dans la nuit du 5 au 6 juin, Capa et 300.000 Alliés traversent la Manche dans une opération logistique d'ampleur inédite. Atteint par la tension ambiante, le reporter écrit une dernière lettre à ses proches (il ne la postera jamais), joue au poker avec des soldats, néglige enfin son petit déj' "pré-débarquement" composé de petits pains, d'œufs et de saucisses. Au ventre, rien d'autre que la peur.
Les vedettes sont alors mises à l'eau, avec à bord les premières centaines de soldats voués à participer à la boucherie. 15 kilomètres plus loin, à l'approche du mur de l'Atlantique érigé par les Allemands, une pluie de plomb les accueille en Normandie. Lorsque les barges de débarquement touchent le fond, les hommes sautent pour parcourir les 100 derniers mètres à pied. Robert Capa commence à mitrailler – non avec une arme, mais avec l'un de ses Contax.

By Robert Capa/© International Center of Photography/Magnum Photos

Entouré par les projectiles, et bientôt par les cadavres, Robert Capa trouve refuge derrière l'un des pieux d'acier de la défense nazie. Ainsi adossé, il photographie les combattants américains alourdis par leur équipement, qui tentent péniblement, parfois vainement, de maintenir la tête au-dessus de la surface de l'eau.

By Robert Capa/© International Center of Photography/Magnum Photos

Abandonnant finalement son pieu d'acier, le photoreporter s'abrite derrière un tank amphibie. Capa abandonne ensuite son imperméable Burberry, qui pèse une tonne. Il rejoint la plage en se plaçant dans le sillage de deux militaires. Tente brièvement de creuser un trou avec une pelle. Tremble tellement qu'il n'arrive plus à changer de pellicule. Fait marche arrière, s'engouffre dans un bateau dans lequel un obus fait exploser les gilets de sauvetage. C'est à bord de cette barge, en fin de compte, que le photographe épuisé est ramené vers l'USS Chase. Il fait partie des 10% qui ressortent indemnes de la première vague d'assaut sur Omaha la sanglante.

By Robert Capa/© International Center of Photography/Magnum Photos.
"Deux gars m’ont aidé à sortir de l’eau, un sergent et un photographe avec un appareil autour du cou. Ce devait être Robert Capa. Il n’y en avait pas d’autre. Je me souviens très bien m'être dit : mais que diable ce dingue de photographe fait-il ici ?" (Huston Riley,)"

By Robert Capa/© International Center of Photography/Magnum Photos
La destruction des négatifs
Le photojournaliste expédie sa production au bureau londonien du magazine "Life" : 4 rouleaux de 36 poses qui contiennent le plus grand moment de sa carrière. à Londres, ses négatifs atterrissent entre les mains d'un laborantin nommé Dennis Banks. Dans la précipitation, ou l'excitation, le jeune homme commet une erreur. Il ferme la porte du séchoir à films. Témoignage historique ou pas, la chaleur fait implacablement son effet sur les pellicules : elles fondent. Le directeur photo de "Life", John G. Morris, parvient à sauver en catastrophe 11 négatifs d'un des quatre rouleaux (il n'en reste aujourd'hui plus que 8)